Un
jour de fin 2003, j’ai commencé à faire une recension d’esperluettes
(le signe « & », qui ligature les deux lettres du mot
« et »), trouvées dans ma collection de polices. Celles qui,
dénichées au hasard, me paraissaient jolies, marrantes, originales,
franchement hideuses, ou dont simplement un détail m’avait accroché
l’œil : la diversité des dessins m’a paru absolument
extraordinaire.
Les Demoiselles
enlacées, décembre 2003-février 2004
Composition en Matura & Medici
Format : 17 × 17 cm
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du PDF
La
première forme de cette recension — un brouillon d’une vingtaine
de pages (téléchargement
du PDF complet, en A4) — était très inspirée par le travail
canonique de Jan Tschichold :
Mais
mon idée était de choisir parmi ces charmantes demoiselles, puis de
les laisser s’enchevêtrer, dans un format qui en fasse un petit
livre-cadeau de 150 pages au maximum : un coffee table
book d’esperluettes embrassées, pour les fêtes de Noël.
J’ai donc monté ces cinq pages d’essai au format de 17 × 17 cm, un peu à la va-vite… (La reproduction de ces pages est ici en réduction, mais le PDF de cette ébauche se télécharge là.) Pour en faire un vrai livre, il faudrait reprendre le tout, prévoir une préface un peu savante & aussi trouver un système pour légender les polices (il y a une réelle poétique des noms de police).
L’esperluette
est un signe étrange. Ligature purement esthétique (& non
technique), elle est longue & difficile à dessiner & ne
fait pas vraiment gagner de chasse par rapport au
« et » qu’elle remplace. Je suppose que son incroyable
survivance (de Pompei à nos jours) tient surtout à son aspect
ludique ainsi qu’à sa beauté formelle.
Composition
en Caslon & Madrone, mai 2005.
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du PDF.
Son
emploi en labeur est un peu compliqué. Très spectaculaire, elle
rend la lecture difficile — par manque d’habitude ! Pour du
texte en continu, on aura donc généralement intérêt à utiliser
l’esperluette des petites capitales (lorqu’elles existent) ou à
bricoler une esperluette homogène en graisse & de force de
corps avec les bas-de-casse, par réduction à partir de la
déclinaison demi-gras de la police (lorsqu’elle
existe...) :
« Moi aussi, j’aime beaucoup les chiffres elzéviriens ! Pour une raison qui est exactement l’inverse de celle qui me fait détester (bien grand mot, mais j’ai rien d’autre à portée de main…) l’esperluette dans les compos ordinaires : eux, au moins, ils n’ont pas des tronches de capitales ! ils sont discrets & savent un peu baisser la tête… Ils t’arrêtent pas l’œil avec arrogance… L’esperluette, qui n’est jamais qu’un “et” à la con, se prend pour une balise essentielle, un phare de la phrase, le truc à ne surtout pas manquer… C’est bien simple, j’ai envie de lui taper sur la tête, histoire de lui apprendre à vivre… (Sa sœurette, l’esperluette petite cap, est d’une modestie bien séduisante, mais elle est hélas bien rare.) »
Jean-Pierre LACROUX,
Mail à la liste Typographie, le 23 mai 1998.
Références
& révérence
• Tout
d’abord, il faut signaler un
superbe blog, dont l’auteur publie minutieusement les
reproductions de toutes les esperluettes qu’il lui est donné
de rencontrer — il y en a même une en bretzel ! Très
peu de commentaires, beaucoup de photos… Un vrai régal, à
visiter de toute urgence.
• L’association
Esperluette
édite pour l’année 2007 un superbe calendrier, tout entier
rempli d’esperluettes spécialement dessinées pour
l’occasion. À voir absolument si on aime ce signe
(commandes du calendrier sur le site de l’association).
• La
citation de Jules Verne, que j’ai ici incrustée dans
l’esperluette du Madrone, a été publiée par Éric Angelini sur
la liste de diffusion Typographie.
•
Pour les ligatures en général & les esperluettes en
particulier, la référence indispensable reste le n° 22
des Cahiers Gutenberg (septembre 1995), dont on peut
(on doit !) télécharger
les PDF.
Outre
la préface de Jacques André & la postface de Gérard
Blanchard, on prêtera plus spécialement attention à l’article
de ce dernier : « Nœuds & esperluettes,
actualité & pérénité d’un signe », ainsi qu’à celui
de René Ponot : « Le Didot a-t-il besoin de
ligatures ? » Ces articles sont l’un & l’autre
richement illustrés. (La
reproduction ci-dessus de la recension de J. Tschichold
est extraite de l’article de R. Ponnot.).
•
Le site Web d’Adobe publie une intéressante étude
historique de Max Caflisch sur l’esperluette &
l’évolution de son dessin, de l'Antiquité romaine à nos jours.
• Les amateurs de lexicographie s’amuseront de la variation des étymologies possibles du mot, en lisant la page qui y est consacré sur le bien nommé site www.pirlouette.ca.
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