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Karl Marx, à propos du crime
et de sa productivité
(En hommage au Didot de Hoefler)

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Pour Anne-Doris Meyer,
mon aimée, ma mieux aimée,
inlassable chercheuse
et dénicheuse de textes.



« D’autre part, Achille est-il compatible avec la poudre et le plomb ? Ou,
somme toute, l’
Iliade avec la presse ou encore mieux la machine à imprimer ?
Est-ce que le chant, le poème épique, la Muse ne disparaissent pas
nécessairement devant la barre du typographe, est-ce que ne s’évanouissent
pas les conditions nécessaires de la poésie épique ? »

Karl M
ARX, Introduction à la critique de l’économie politique, 1859.
















La productivité du crime, texte de Karl Marx
Format 17,8 cm × 40 cm (ici en réduction à 50 %)
Composition en Didot HTF, novembre 2016
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Cette petite étude de Karl Marx, également connue sous le nom d’Éloge du crime, avait déja été publiée, en français, par la librairie Tschann (Paris) en 1976 : cette version, sans doute la plus connue, a permis la diffusion d’un texte classiquement recueilli dans le livre IV du Capital, dont la lecture reste évidemment l’apanage de quelques spécialistes. Saisi par le charme, l’ironie et la pertinence un peu paradoxale des propos de Marx, je les avais remis en page, sans doute à la fin des années 1980 ou au début des années 1990, puis affichés dans mon bureau : c’est probablement un des premiers travaux personnels que j’ai signés…





Composition en Didot HTF
(la police utilisée pour cette mise en page).




Composition en ITC Galliard
(qui était peut-être la police utilisée en 1990).







Je ne me souviens plus de la police de caractères que j’avais employée alors, peut-être une des polices de labeur que j’affectionnais à l’époque, peut-être même que c’était de l’ITC Galliard, mais peut-être aussi que je préfère oublier ces errements de jeunesse. En revanche, je me souviens à peu près du dispositif graphique que j’avais adopté, le même que pour la présente mise en page, avec la première ligne composée en très gros et les lignes d’après en taille décroissante, jusqu’à arriver à la force de corps de composition du texte. L’idée était de provoquer la surprise du lecteur, de l’intriguer avec les premiers mots un peu bizarres qui incitent à lire la suite pour comprendre de quoi il s’agit, et de faire ainsi rentrer le lecteur dans le texte, convaincu par sa logique au moins apparente, puis de plus en plus évidente.

Cette nouvelle mise en page n’est donc pas exactement à frais nouveaux puisque j’ai conservé le dispositif graphique, en tout cas tel que je m’en souvenais. Mais j’ai bazardé tout le reste : le Galliard si c’était du Galliard, le format de page que j’ai d’ailleurs totalement oublié, l’empagement [1].





Extrait du Manifeste communiste,
composition en Didot HTF.






J’ai pris du didot, et plus exactement le Didot d’Hoeffler (mais quel autre didot pourrait-on utiliser ?) peut-être parce que depuis ma mise en pages d’un extrait du Manifeste communiste, pour moi Marx se compose en didot.

Dans cette page unique, la largeur de colonne est commandée par la chasse de la première ligne, sa hauteur par l’encombrement général du texte, lequel dépend évidemment de sa force de corps et de son interlignage — qui sont ici commandés par un triple impératif : la lisibilité bien entendu, l’esthétique et aussi la contrainte technique de faire rentrer la page à l’intérieur d’un format A3 pour en faciliter l’impression.

Quant au format général de la page, il a été calculé à la fin, après la composition du texte, ne consistant ici qu’à déterminer les blancs tournants qui assurent l’équilibre général de la page et qui sont son support matériel. Le seul problème, finalement, était de ne pas obtenir une page trop étroite, pour éviter d’obtenir un effet filiforme évoquant un peu trop le cou d’une girafe (il me semble y avoir réussi) mais pas trop large non plus pour ne pas rendre le texte obèse et lui garder son agilité (je crois aussi que j’y suis parvenu).



Didot et corps optiques

Les dessins des polices de caractères devraient varier en fonction de leur force de corps, avec des jeux de petits corps proportionnellement plus gras et chassant plus que les grands corps, afin de préserver les détails du dessin des lettres et leur finesse, ainsi que le gris typographique. Cette habitude s’est malheureusement presque entièrement perdue : rares sont les polices numériques qui proposent plusieurs jeu de caractères, différents selon la force de corps.









6
11
16
24
42
64
96





Caractères en Didot HTF medium, du corps 6 au corps 96, mais ici composés en corps 72 [2].
En haut, sans ajustement optique : tous les caractères sont rigoureusement identiques.
En bas, avec ajustement optique : ils sont tous, subtilement mais réellement, différents.

























Spécimen de Didot,
probablement dû à Molé le Jeune,
in Jan T
SCHICHOLD, Treasury
of Alphabets and Lettering
,
Omega Books, 1965.
(Clic sur l’image pour
l”afficher en grand.)







Quelques polices échappent pourtant cette standardisation de leur dessin : ainsi le Didot HTF, un « didot absolu » dessiné pour le magazine Harper’s Bazaar, pour lequel Jonathan Hoefler a créé sept jeux optiques de caractères, tous différents et allant du corps 6 au corps 96, permettant d’éviter l’amaigrissement ou l’engraissement « mécaniques » qui se produisent quand on réduit ou qu’on agrandit les caractères numériques. Jonathan Hoefler raconte sur cette page web l’histoire du didot et la genèse de sa police, et explique sur cette autre page la raison d’être et les caractéristiques de ses corps optiques.

Respecter les pleins et les déliés du didot, même dans les grands corps, est donc une raison en soi d’utiliser le Didot HTF, à laquelle s’ajoute la beauté intrinsèque de cet alphabet, directement repris d’un spécimen de Joseph Molé Le Jeune.





De gauche à droite : Didot HTF 96 light, Le Jeune Poster light
et Le Jeune Hairline light, ici composés en corps 135.




Le caractère le plus grand utilisé dans ce texte de Marx est en corps 38 : j’ai utilisé la déclinaison la plus proche, celle destinée au corps 42. Puis j’ai pris la police du corps 30 pour composer en corps 29, celle du corps 20 pour composer en corps 22 et en corps 18, etc. Et enfin, dérogeant à la règle, celle du corps 6 pour composer en corps 10,8, — alors qu’il existe un Didot HTF pour le corps 11, mais la graisse et la chasse de la police pour le corps 6 m’a paru mieux correspondre à mon propos et à ma mise en pages.

Jonathan Hoefler n’a pas cependant dessiné d’alphabet pour aller dans les très grands corps, ou s’il l’a fait il ne l’a pas rendu public. C’est Paul Barnes et Christian Schwartz de la société Commercial Type qui, pour le magazine Vanity Fair, se sont attelés à l’ouvrage, en partant eux aussi des dessins de Molé Le Jeune : si leur Le Jeune Poster couvre les forces de corps de 80 à 150, comme le HTF 96, leur Le Jeune Hairline permet de composer en corps 200 (soit environ 4,3 cm pour un « X » en capitale) et bien au-delà.



Réglages techniques

Composition : Didot HTF, corps 38, 29, 22, 18, 16, 14, 12 — et 10,8 pour le principal du texte.
Interlignage :
36,5, 25, 21,8, 20,8, 18,5, 14,4 — et 14,2 pour le principal du texte.

L’interligne du texte principal peut sembler un peu fort, mais il permet de compenser la largeur de justification, ici d’autant plus importe que la force de corps est finalement assez faible : plus la justification est large, plus l’interligne doit être important, à la fois pour des raisons optiques et aussi pour aider l’œil du lecteur à suivre la ligne de texte, guidé qu’il est par la ligne « blanche », invisible, formée par l’interligne.

On notera également que les interlignages des lignes en gros corps ont été travaillés un par un et que leur décroissance n’est pas constante, ceci pour « rattraper » les problèmes optiques (interlignes trop blancs ou au contraire trop serrés), dus à la proximité accidentelle des ascendantes et des descendantes des lettres.

Espaces-mot : optimum à 105 %, minimum à 102 % et maximum à 108 %.
Interlettrage : optimum à 0 %, –1 % au minimum, 2 % au maximum.

Taille de la colonne : 12 cm × 35,2 cm.
Taille de la page : 17,8 cm × 40 cm.


[1] J’ai également rejeté la traduction proposée par la librairie Tschann (un travail de D. Jon Grossman, qui a trop librement adapté l’original et opéré une coupe arbitraire dans la fin du texte) pour adopter, moyennant quelques corrections essentiellement stylistiques, celle de Lucien Sève (Karl Marx, écrits philosophiques, 2011, Flammarion), qui elle-même suit assez étroitement celle de Gilbert Badia pour les Éditions sociales (Le Capital, Livre IV, Théories sur la plus-value, 1974-1976).
Sur les problèmes posés par les éditions et les traductions successives des textes de Karl Marx, sur l’impossibilité de revenir à un texte originel apparemment introuvable, et par conséquent sur l’impossibilité de savoir exactement ce qu’écrivait Marx et quel était son propos, on lira avec intérêt le stimulant ouvrage de Patrice Loraux, les Sous-Main de Marx, Introduction à la critique de la publication politique, Hachette, 1986.

[2] D’après Jacques ANDRÉ, « Caractères numériques : introduction », Cahiers Gutenberg nº 26.


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