« I am
large. I contain multitude. »
Walt WITHMAN,
Cité par Elliot EARLS,
dans Emigre no 65
1
Il
arrive qu’on se mette à naviguer dans des univers typographiques très
différents, qui cohabitent sur votre écran et dans votre tête durant
quelques jours. C’est ce qui m’est arrivé à la fin avril-début mai
2004 à l’occasion de trois travaux personnels, qui étaient autant de
jeux typographiques.
1.
Espaces et divisions
Tout
d’abord, je me suis retrouvé en train de mettre en forme une notule de
Jean-Pierre Lacroux, extraite de son Typographique
Tombeau. Intraitable défenseur de la langue française,
Jean-Pierre Lacroux n’oubliait jamais qu’un texte est d’abord
composé pour être lu. Et dans l’inlassable débat qui oppose
compositeurs et correcteurs, il n’était ni de l’un, ni de l’autre
bord : pratiquant les deux métiers (et avec quelle
finesse !), il s’était résolument rangé du côté du lecteur.
Pas
sûr que le Peignot soit fait pour autre chose que composer des phrases
très courtes, des titres, des sentences. Mais essayons-le pour mettre
en page ce petit texte. Ça donne ceci :
Avril-mai 2004
Composition en Peignot
Format 21 × 29,7 cm
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N.B. :
Le centrage des lignes posait un petit problème optique. Ceux qui
s’intéressent aux détails techniques, à ces milles joies un peu
bizarres qui font le quotidien des typos et des maquettistes peuvent
aller voir ce qu’il en est sur une page toute spécialement concoctée
pour eux : cliquer ici.
Jean-Pierre
Lacroux avait pour le Peignot une admiration ambiguë… L’utilisation la
plus connue de cette police, et peut-être la seule pérenne, est la
gravure de citations de Valéry au fronton du palais de Chaillot, à
Paris : alors, juste pour rire, j’ai moi aussi « gravé dans
la pierre » trois lignes du texte, mais en Trajan (ici dans
l’élégante version de Goudy).
Avril-mai 2004
Composition en Goudy Trajan
2. Variations pour un anniversaire
Mon
fils Martin se remarque par quelques redoutables qualités :
ainsi, à un jugement quasiment infaillible — il posséde ce qu’on
pourrait nommer l’œil typographique absolu, comme on dit d’un
mélomane qu’il a « l’oreille absolue » — il ajoute une
capacité de sarcasme ou d’admiration sans égale.
C’est
dire que, voulant composer un petit carton d’hommage pour son
quatorzième anniversaire, j’avais le sentiment de ne pas pouvoir me
louper. Son appréciation, en découvrant la chose, fut heureusement de
plaisir et d’admiration plutôt que de sarcasmes…
Mai 2004
Composition en Bauer Bodoni
Format 16 ×
16 cm
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La
police choisie, un magnifique Bodoni, au demeurant lui va bien. Martin
est sensible et fier : d’une personnalité à la fois surprenante,
affirmée et toujours infiniment aimable. « Votre velouté,
fantasque, étincelant garçon », m’écrivait une amie : si
jamais adéquation fut parfaite entre un caractère et un caractère,
c’était entre Martin et le Bauer Bodoni.
Le
papier contenant son cadeau (quelques livres et le carton montré
ci-dessus) était amusant, lui aussi. Le voici, avant qu’il soit replié
et collé sur les bords pour devenir pochette :
Mai 2004
Composition en Bauer Bodoni et Courier
Format 42 ×
29,7 cm
Un
ami, formateur de son état, me racontait récemment combien il lui est
difficile de faire admettre à ses élèves maquettistes que le blanc est
utile dans une page. Que « bourrer » sa page, envahir tout
l’espace, n’est pas seulement esthétiquement désastreux : ça nuit
à la lecture et détruit le message.
De
guerre lasse, me disait-il, il a fini par composer, pour son support
de cours, un écran en rétroprojection qu’il laisse voir à ses
stagiaires « autant de temps que nécessaire, jusqu’à ce qu’ils
comprennent ! » Un écran presque vide, avec simplement
écrit : N’ayez pas peur du blanc.
Pas
sûr que ça marche, toutefois, ni que le message passe. Qu’en serait-il
si on composait cette forte phrase sur fond noir, et dans une police
qui fasse un peu peur (ou qui puisse exprimer la peur) ?
Mai
2004
Composition en Irregular
Format : en fonction des conditions de la rétroprojection.
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